Dysphasie et Gestion mentale

Un autre regard

France PAGES

Nous sommes tous d’accord sur les symptômes observés chez le sujet présentant une dysphasie. Cependant la Gestion Mentale, par un changement de point de vue, ouvre sur d’autres perspectives qui enrichissent non seulement le diagnostic mais aussi et surtout permettent d’ajuster la rééducation aux exigences mentales du patient. Cette démarche à la fois soulage parents et enfant en mettant l’accent sur les actes mentaux et non plus sur les carences observées, libère le sujet des tâtonnements inévitables en le rendant acteur conscient « des gestes mentaux » qui assurent sa réussite.  Certes, les orthophonistes n’ont pas attendu la Gestion Mentale pour rééduquer leurs patients, mais cette découverte  du travail de la pensée leur donne une assise théorique nouvelle qui génère une pratique féconde.

Quel est donc ce point de vue?

C’est celui du sujet lui-même s’observant « penser » guidé par les questions du spécialiste. Nous travaillons sur les contenus de pensée et les processus mentaux qui les structurent à partir des ressources et des compétences existantes. Ce qui est donc visé, c’est la réalité du fonctionnement de la pensée . Autrement dit nous sommes sur le « comment ? » pense cet enfant lorsqu’il est efficace.

Mais comment pense l’enfant dysphasique?

Avant tout, l’enfant dysphasique, quand il attentif, se donne des représentations mentales visuelles, quelles que soient les modalités sensorielles sollicitées,. Ainsi, lorsqu’il entend une cloche sonner, il revoit mentalement l’image d’une cloche  (pour autant qu’il ait déjà fait le lien entre l’objet et  le son) mais le son ne viendra pas spontanément accompagner l’image. Il faudra donc lui apprendre à prolonger son évocation visuelle d’un évocation auditive ou verbale. Ce que l’enfant ordinaire fait  automatiquement : il perçoit le son et dans le prolongement sait s’en donner une représentation sonore et visuelle nécessaire à la compréhension de ce qu’il a entendu. Toute information intégrée est le résultat de ce double traitement qui va de la perception à l’évocation.

Continuons l’observation introspective : les images mentales de cet enfant, « trop » exclusivement visuel, sont la plupart du temps, statiques, en couleurs, privilégient la réalité : le concret ; elles sont précises mais traitent de manière concise la globalité au détriment des détails. Ces évocations sont souvent fugaces, statiques ou dynamiques.

Dans la logique de ce type d’évocation, nous constatons que sa compréhension exige le support d’exemples et s’accommode mal de discours explicatifs. Ses raisonnements se font par induction, rarement en déduction. Pour comparer  il a besoin des similitudes autant que des différences. Les mécanismes d’attribution se font dans l’espace. La dimension temporelle, la séquentialité s’inscrivent dans la verticalité qui s’évoque globalement.

Ce profil pédagogique succinct mais généralement vérifié, engendre bon nombre  des difficultés des enfants dysphasiques. Il guidera donc la démarche éducative ou rééducative en imposant un itinéraire qui conjuguera le support des capacités mentales reconnues à l’apport de celles qui manquent.

Comment agir?

Les caractéristiques de ce profil pédagogique vont donc nous imposer des lois qui animeront tous nos choix rééducatifs.

1)      Toujours respecter la méthodologie de l’enfant

2)      Pour tout nouvel apprentissage : donner à voir puis à entendre, successivement, jamais en même temps.

3)      Laisser du temps entre chaque présentation pour qu’il puisse « mettre dans sa tête » l’information.

4)      Aller du concret à l’abstrait, de l’exemple aux explications et à la règle, de la globalité à la séquentialité, de la verticalité à l’horizontalité, etc…

Concrètement, la démarche d’apprentissage, quel que soit son objet, sera toujours la même :

1)      Expliquer à l’enfant (avec des dessins éventuellement) qu’il faut regarder ce qui va lui être montré afin de s’en donner une image dans sa tête

2)      Montrer sans nommer, puis cacher

3)      Laisser du temps pour qu’il se donne une image mentale visuelle de ce qu’il a vu

4)      Faire faire des « va et vient » entre le perçu et l’image évoquée

5)      Expliquer ensuite qu’il va entendre dénommer  l’objet et qu’il devra sur l’image évoquée visuellement réentendre ou se répéter ce qui a été dit

6)      Nommer sans rien montrer (répéter si nécessaire)

7)      Laisser du temps pour permettre la création d’un évoqué auditif qui ne pourra se réaliser qu’à partir de l’image mentale visuelle déjà constituée

L’enfant dénomme  maintenant car c’est sur un évoqué visuel qu’il a le pouvoir de se

donner l’évoqué auditif ou verbal nécessaire pour oraliser. S’il n’a pas une bonne conscience phonologique, il peut acquérir une conscience « visuo-phonologique », fondement de sa parole.

Application de la démarche à quelques apprentissages spécifiques

Cette procédure qui ne peut faire l’économie d’aucune étape va se retrouver à chaque instant de la rééducation quelle que soit l’information proposée.

Ainsi pour apprendre à prononcer un phonème faudra-t-il faire évoquer successivement une référence concrète (un chat pour le [ch] ou toute autre chose mais dans la gamme visuelle : geste, pictogramme…), le dessin de l’articulé, éventuellement une représentation symbolique de la vibration ou de la non-vibration laryngée, et enfin le son prononcé

Le mot ne pourra être répété par l’enfant qu’après l’évocation du dessin de l’objet en cause, du mot écrit sous-titré des articulés et enfin du mot prononcé.

En fait, plus vite on fera passer cet enfant d’une conscience visuo-phonologique, à la conscience grapho-phonémique que génère la lecture, plus vite il disposera des moyens de son autonomie verbale.

Ce qui va changer avec la lecture, c’est que la référence concrète évoquée doit s’effacer au profit des graphèmes Le but premier n’est pas qu’il lise mais qu’il se donne une image visuelle du mot écrit, support d’une lecture mentale qui deviendra parole, langage et discours. A ce stade l’enfant est passé d’une conscience grapho-phonémique à une conscience orthographique puis visuo-verbale. S’il se contentait d’accueillir des images concrètes de sens pour comprendre, il se priverait des ces mots codés évoqués qui le conduise de manière économique et efficace à la parole.

Dans ce court exposé, je ne peux rendre compte de toute la subtilité propre à chaque situation d’apprentissage. Cependant une idée force s’impose, à savoir qu’en  toute circonstance y compris lorsqu’il s’agit d’utiliser les liens syntaxiques, d’apprendre à lire et à écrire, voire à calculer, il faut toujours donner, à l’étape initiale, un support visuel.

Conclusion

Ces enfants nous enseignent qu’en prenant en compte leur différence mentale, nous les aidons à dépasser leur handicap.

L’explicitation des actes mentaux et des contenus de conscience que la gestion mentale ajoute à la rééducation traditionnelle, permet à ces enfants de découvrir le pouvoir de leur pensée sur leurs aptitudes et leurs inaptitudes. Ils savent désormais que pour être efficaces, il faut partir de ce qu’ils sont pour conquérir ce qu’ils n’ont pas.

Mais ils ont aussi besoin que leurs parents et tous ceux qui les aident, loin de les stigmatiser, les anticipent dans leur réussite et apprennent à communiquer avec eux en respectant l’originalité de leur fonctionnement.