L’ORTHOPHONISTE FACE A L'ECHEC SCOLAIRE

Comprendre et agir avec le concours de la Gestion Mentale

France PAGES

Il est banal de souligner le paradoxe représenté par l’élévation générale du niveau culturel de la population tandis que le pourcentage d’enfants en échec scolaire ne cesse de croître.

De même, les recherches en pédagogie n’ont jamais autant mobilisé les esprits et les moyens, alors que de plus en plus d’enseignants se sentent démunis et isolés dans leurs classes.

La prise de conscience du rôle capital de l’éducation dans la construction des sociétés futures est devenue si aiguë qu’elle déborde l’univers pédagogique et familial pénètrant largement le monde politique, économique et social. La question scolaire, mise en scène à grand fracas par les médias, relève, désormais, du psychodrame permanent.

L’enfant en échec, un changement en perspective

Dans ce contexte, l’orthophoniste est de plus en plus sollicité. Le fait nouveau est qu’en plus des pathologies habituelles de l’enfant tels que les retards de langage, les troubles d’articulation, le bégaiement, les dyslexies, les dysorthographies, les dyscalculies, ce professionnel est confronté à des désordres aussi réels que ceux-là, mais dont l’origine semble être essentiellement pédagogique. Ce qui autorise à formuler cette assertion c’est qu’à la différence des premiers troubles cités, les seconds ne relèvent du médical que par suite des ratés d’un parcours soumis aux effets de la modernité, à l’évolution socio-familiale, à la pression de programmes sélectifs dans un environnement scolaire insécurisant, sans oublier la mentalité et les comportements caractéristiques des enfants d’aujourd’hui.

C’est ainsi que vous voyons affluer dans les cabinets d’orthophonie des enfants d’intelligence vive, voire brillants dans leur domaine de prédilection, qui apparaissent comme des « polytraumatisés » de l’institution scolaire. Ils ont des difficultés dans toutes les matières avec une versant généralement plus nettement déficitaire en français, à l’oral comme à l’écrit. Ils lisent laborieusement, comprennent partiellement, ne trouvent aucun plaisir à la découverte d’un texte. Pour eux, l’écrit n’est que le moyen d’évaluation, rarement moyen de communication, la grammaire devient un ensemble de règles arbitraires et les conjugaisons une rengaine dont l’application reste toujours incertaine. En maths le départ augure souvent bien, mais dès l’apparition des résolutions de problèmes, les difficultés se multiplient jusqu’à devenir inaptitude. L’apprentissage des langues bute sur le vocabulaire et encore plus sur la syntaxe. Quant aux autres matières, l’histoire, la géographie, les sciences, elles restent à l’écart d’acquis parcellaires, donnant lieu à des travaux écrits d’une grande pauvreté sur le plan logique et rédactionnel.

Jusqu’à présent les causes habituellement retenues pour expliquer l’inadaptation scolaire relevaient soit des carences du milieu, soit des carences de l’élève. La réalité vient troubler ces certitudes : l’échec est-il seulement le fait des enfants de milieux socio-culturels défavorisés ou d’origine différente, la conséquence obligée d’une histoire familiale perturbée ? Comment expliquer alors l’existence de tous ces enfants intelligents, travailleurs et motivés qui pourtant, restent en marge, honteux et désespérés ? Pourquoi occulte-t-on l’inadaptation de cette population dont les conditions de vie matérielles et affectives sont favorables ? Que dire de la transformation dramatique des petits de la maternelle dont l’enthousiasme pour « la grande école » s’éteint dès le CP et au fil des apprentissages, au point de vivre le collège comme un milieu hostile dont ils vont défendre par des conduites agressives ou passives…

Ce questionnement de plus en plus obsédant accompagne depuis des années mon travail de rééducatrice ; il m’a amenée à adopter des points de vue qui, tout en englobant la réalité vécue, refusent la fatalité et s’obstinent à découvrir en chacun son potentiel de réussite, à commencer par la reconnaissance de sa valeur, si souvent déjà contestée.

Combien d’enfants, en effet, après être passés sous le couperet des tests, sont « estampillés » intelligence limite et de ce fait partagent leur famille et les enseignants une raison de se culpabiliser, renforçant ainsi une impuissance réciproque. La démobilisation risque d’être générale et au bout du compte la solution qui s’impose est le renvoi vers une structure, dite mieux adaptée. Dans ce nouveau milieu, beaucoup d’enfants, confrontés aux handicaps des autres, font alors le deuil de leur normalité, perdent toute ambition et plongent définitivement. On ne peut balayer les méfaits d’un environnement néfaste, mais l’expérience montre que des facteurs d’échec bien réels deviennent vite des causes « alibi » qui inhibent à la fois l’élève, ses parents et l’enseignant dans leur capacité à imaginer des objectifs et de moyens de réussite.

Le malheur de ces jeune peut difficilement être légitimé. Il devient même insupportable et absurde quand on réfléchit à travers la connaissance apportée par la Gestion mentale, à condition que cette théorie soit comprise comme une psychologie de la conscience reconnue de l’intérieur et non seulement comme une méthode «  pour apprendre ». Pratiquer la Gestion mentale, en effet, c’est devoir opérer une tel renversement de ses croyances et de ses modèles que là, où avant n’étaient que carences, on voit désormais une personne dans la cohérence de son identité cognitive et affective, une personne qui reconnaît en elle et donne à reconnaître des processus mentaux, des potentialités en germe et souvent même, un éclairage sur ses mécanismes de défense. C’est sous ce regard neuf que l’analyse de l’inadaptation scolaire dépasse le constat d’impuissance pour impulser des conduites structurantes qui s’apparentent parfois à un sauvetage…

Les concepts de la Gestion Mentale : analyseurs de l’échec, facteurs de réussite

Tout être humain est la résultante d’une interaction entre un environnement physique, socio-affectif, cognitif, et une structure génétique porteuse du modèle humain, ouverte sur des potentialités multiples, soumise aux contingences d’une histoire particulière. En écho à ces actions conjuguées, réagissant à son milieu, aux événements, le petit homme adopte des habitudes de pensée qui construisent son intelligence. Ces habitudes mentales là, contrairement à l’opinion courante qui explique tout talent par l’hérédité, seront à l’origine de ses niveaux d’aptitude, voire de son génie !

Par un questionnement introspectif, nous découvrons ces habitudes. Ainsi, dans le cadre naturel du fonctionnement de la pensée, apparaissent des caractéristiques propres aux représentations mentales visuelles ou auditives. Ces représentations mobilisent des contenus diversifiés, les paramètres, portant plus ou moins exclusivement sur des objets de réalité P1, des acquis symboliques P2, des raisonnement P3, des créations P4. Nous repérons aussi la place capitale de la mise en projet qui impulse des stratégies mentales en fonction de l’objectif . Nous voyons enfin comment dans les moments d’attention, de mémorisation, de compréhension - réflexion et d’imagination, chacun structure ces gestes mentaux, inhérents à l’espèce humaine, en raison de sa personnalité cognitive.

Revenons dans le cabinet de l’orthophoniste et observons ces enfants en souffrance scolaire. Ce qui frappe en premier lieu c’est une difficulté généralisée à se projeter dans le futur. Leur dessein est de vivre au jour le jour, de cours en cours, de contrôle en contrôle. Ils prennent l’information au moment même où ils la reçoivent,sans la replacer dans le continuum qui l’assure et appelle un développement. Malgré leur application, d’ailleurs rarement reconnue, le temps démesuré passé au travail, ils ne comprennent pas l’intérêt de l’interdisciplinarité et ne cherchent jamais spontanément le plus faible élargissement qui soit du sujet. Leur unique finalité est la note ; que celle-ci soit bonne ou mauvaise la page est tournée, les informations vite oubliées. La plupart d’entre eux sont déprimés, inhibés, se vivent comme incapables de réussir et leur humiliation est grande. Dans cet univers scolaire, ils donnent le sentiment d’être étrangers à eux-mêmes.

- La mise en projet

Mais la Gestion mentale nous porte plus loin dans l’analyse en montrant combien leur pensée est livrée au hasard, sans dessein spécifique, ni activité consciente en phase sur les informations perçues. C’est ici que nous retrouvons la mise en projet comme l’un des concepts explicatifs de ce désastre, ce projet qui, de l’intérieur, oriente nos mécanismes de pensée vers un objectif et enclenche de ce fait la mise en œuvre de moyens mentaux efficaces.

Mais pourquoi avons-nous besoin de cette mise en projet préalable pour réaliser l’adéquation des moyens et de l’objectif ?

Toute prise d’information s’effectue au sein d’une multitude d’indices relevant de nos cinq sens et traitant du monde réel ou symbolique dans l’ordre spatial ou temporel. Pour être efficace, il faut sélectionner les indices pertinents en rapport avec l’objectif et les reprendre mentalement dans des évocations qui donneront sens et mémoire. Or l’évocation des indices sélectionnés ne se réalisera que si le sujet a conscience de ce qu’il vise, s’il croit pouvoir y arriver. En anticipant sa réussite possible,il est en situation de trouver les moyens d’y arriver.

Encore faut-il qu’il soit aidé dans cette activité initiée librement, par ceux qui l’éduquent. Cela suppose avant tout de croire en l’enfant, de ne jamais remettre en cause son intelligence, de ne pas renoncer à la fierté ressentie devant ses premiers pas, ses premiers mots… C’est aussi donner sans attendre, communiquer sans juger, penser la pensée de l’autre pour se plier au rythme de ses moyens. C’est encore lui faire découvrir le plaisir de finalités authentiques qui le concernent réellement et préserver ainsi le fragile plaisir de savoir.

Hélas ! Dès la maternelle, le petit doit prouver son intelligence. Même la ligne de « a » si laborieusement tracée ne reçoit plus d’assentiment inconditionnel. Les adultes ont changé de regard, la crainte s’est emparée d’eux, ils ne sont plus en « attente d’émerveillement » mais il observent, analysent, pointent les difficultés, diagnostiquent et le risque est énorme de voir certains enfant devenir « ce qu’on croit qu’ils sont » c’est-à-dire se conformer au modèle redouté par l’adulte… Plus l’angoisse monte, plus les objectifs à atteindre s’exaspèrent, les exigences s’accentuent au mépris des différences de rythme et de capacités propres à chacun. Il faut réussir vite, dans tous les domaines et sans droit à l’erreur. L’importance prise par les notes traduit bien l’emballement du système : le jugement péremptoire est partout, détournant l’ensemble des protagonistes, enseignants, enfants, parents, des vrais objectifs. Ne va-t-on pas jusqu'à annoncer en début d’année scolaire une redoublement inéluctable !…

L’enseignement qui résulte des effets de l’enfermement dans l’échec impose à l’adulte-éducateur de calmer le jeu de sa propre affectivité afin de protéger celle de l’enfant et le mettre à l’abri de toute pression émotionnelle négative. Pour quelques sujets qui trouvent motif à sursaut dans l’humiliation d’un échec, combien, en effet, se replient sur leur « passé ignominieux » devenant rapidement inaptes à anticiper une possible réussite et par le fait même, sont incapables de s’en donner les moyens mentaux.

Dans le cadre de la rééducation, il s’agit alors de faire prendre conscience au sujet du pouvoir qu’il a sur sa pensée pour l’amener à la diriger. Face à une tâche précise, avant même d’avoir vu ou écouté l’information à traiter, l’adulte, dans la mesure où l’enfant ne peut encore y parvenir seul, doit définir avec rigueur l’objectif à atteindre, expliciter la forme d’activité mentale à mettre en place en raison de l’objectif et des méthodologies propres au sujet. Cette mise en projet est un préalable incontournable à toute perception puis à toute pensée structurée.

- Le couple perception-évocation

Avant d’entrer dans l’analyse du travail évocatif, il faudrait s’arrêter sur quelques problèmes liés à la perception.

Nous rencontrons un certain nombre d’enfants affectés de déficits auditif et visuel plus ou moins lourds, parfois non détectés. Dans ces différents cas, il faut adapter le support vu ou entendu aux besoins du sujet et accepter qu’une perception déficitaire se prolonge comme d’un écho évocatif dont la fonction sera de compléter le perçu initial tronqué. Cette reprise est une sorte de construction perceptive pour pallier le handicap, elle devient point de départ des évocations ultérieures mais ne présume en rien de la langue pédagogique du sujet.

On peut dire aussi que beaucoup d’enfants d’aujourd’hui sont dans un « zapping perceptif » permanent. Télé, radio, appareils divers, spectacles, rencontres, voyages, submergent d’informations leurs univers quotidien. Pourtant, ils passent indifférents, sans chercher à « re-garder », « en-tendre », palper, humer, déguster… Apprendre à observer avec ses cinq sens doit être un préalable indispensable à tout apprentissage. Observer c’est diriger son regard, son écoute, au-delà de l’ensemble, sur les indices rendus significatifs par le projet.

La perception porte en puissance l’évocation mais elle n’est pas l’évocation, cette reprise mentale des informations recueillies, qui est la texture même de notre pensée. De nombreux écrits ont analysé cette distinction sur laquelle nous ne reviendrons pas. La rupture entre perception et évocation est capitale au cœur des processus mentaux, et pourtant elle est aussi difficilement reconnue par la personne performante, que par le sujet en difficulté. L’une passe très rapidement de l’objet réel à l’objet mental sans réaliser la bascule, l’autre ne dépasse pas le travail perceptif. La condition sine qua non pour que ce dernier réussisse est qu’il apprenne à évoquer.

La maître mot d’une pensée efficace est effet l’évocation. Aucun apprentissage ne peut en faire l’économie.

Rapportons-nous au développement sur la mise en projet pour y voir comment l’évocation, ajustée à son objectif, produit une pensée convergente sur les indices sélectionnés et permet l’extraction des liens logiques de sens. Ce travail s’exerce dans la mobilité d’un univers mental qui seul peut échapper à la rigidité des objets de perception. Lorsque cette activité ne s’effectue pas, le sujet est submergé d’informations qu’il n’a pas su trier et qui, restant juxtaposées, ne donnent pas la compréhension.

La rééducation se fait donc obligatoirement autour de la promotion de l’évocation en partant des habitudes évocatives premières, visuelles ou auditives, soutien des activités de réussite. Est visée progressivement la capacité d’accéder à la mixité, tout en cherchant à élargir l’éventail paramétrique pour rendre les images mentales plus opératoires. L’observation a montré en effet combien la nature des contenus de pensée jouait un rôle essentiel dans la réussite comme dans l’échec. En conséquence, il est indispensable d’entraîner le sujet à utiliser, au grès des tâches et dans l’ordre qui lui convient, les quatre paramètres. C’est là un itinéraire louvoyant des données de réalité aux acquis codés symboliquement, utilisant les liens logiques porteurs de sens comme les liens inédits facteurs de découverte et d’invention.

Or, l’école actuelle trouve son sens dans l’association P2-P3 alors que la plupart des enfants en difficultés ne parviennent pas à raisonner sur les acquis symboliques. Par contre, ils sont nombreux à manifester une excellente adaptation  P1-P3 ou P4 ; mais malheureusement ce n’est plus là l’ordre de l’école. Nous étudierons ultérieurement ce problème de la réciprocité entre les différents paramètres à propos de la compréhension.

- Les gestes mentaux

Nous abordons maintenant la question des gestes mentaux, ces activités de la pensée qui marquent et dirigent toute la vie scolaire de l’enfant. La description qu’en fait A. de la Garanderie permet de saisir les mécanismes de perte qui handicapent si lourdement de nombreux élèves. Nous envisagerons donc successivement l’attention, la mémorisation, la compréhension- réflexion, l’imagination, en comprenant les procédures erronées qui conduisent à l’échec afin d’en tirer les moyens d’une aide efficace.

Ce qui frappe dans l’attention des enfants en difficulté, c’est qu’il en font un geste aux évoqués fugaces, privé de toute intentionnalité, crispé sur une perception livrée au hasard. En fait cette forme d’attention est dévorée par la crainte de perdre le perçu. On est bien loin de la démarche qui exige, après s’être mis en projet de « pointer » son esprit sur les informations pertinentes, de prendre le temps d’une reprise mentale, visuelle ou auditive, d’effectuer un va et vient entre l’objet d’attention et l’objet évoqué. Au risque de nous répéter, ne pas oublier que le canal sensoriel perceptif ne doit pas induire la nature visuelle ou auditive de l’évocation, le choix privilégié relevant des habitudes du sujet.

Il faut donc apprendre à se dégager de l’emprise de la perception, pour pouvoir évoquer et construire une pensée efficace. Toute rééducation doit conférer cette dynamique du passage de la perception à l’évocation, fondement de tout apprentissage. Ce travail se fait souvent avec bonheur sur des objet non scolaires balayant tout le champ sensoriel, avant d’aborder des exercices plus classiques.

L’acte de mémorisation ajoute à la structure d’attention, l’anticipation du moment où l’information à retenir sera utilisée. Or nous observons chez les enfants en difficulté un enfermement dans le présent qui refuse toute projection dans l’avenir : Ils apprennent seulement pour réciter à maman, à la maîtresse, pour le prochain contrôle… L’épreuve passée, la mémoire se vide à la mesure de la pauvreté du projet et on recommence sur un autre présent. Le seul imaginaire d’avenir qu’ils ont, porte sur la note et s’établit au détriment d’un savoir inscrit dans le sens et la durée : la mémorisation est atteinte dans son essence même. Quand les enfants et adultes se plaignent d’un manque de mémoire, il s’agit plus souvent d’une défaillance de l’anticipation, donc du mouvement mental d’apprentissage, que d’un réel problème neurologique.

La rééducation portera donc sur le geste lui-même, c’est à dire sur l’enchaînement des évoqués et de leur projection dans l’imaginaire d’avenir On visera, chaque fois que possible, l’élargissement, l’anoblissement de cet imaginaire en l’inscrivant à moyen et long terme dans la durée de l’existence de l’enfant, voire de sa descendance, dans son appartenance à une communauté. Il s’agit d’enraciner son futur en restant lié au passé, de ne plus donner des raisons exclusivement matérielles, intellectuelles et effectives à ses investissements, mais aussi de l’ouvrir au devoir de mémoire et à sa responsabilité vis à vis de l’héritage culturel de l’humanité. Quand des enfants de dix ans déclarent vouloir garder leur classeur de rééducation pour leurs propres enfants, c’est tout ce travail d’identification et de responsabilisation qui se met en place.

Cependant, sans un minimum de confiance en l’avenir, rien n’est possible : de plus en plus d’enfants vivent ce drame et une aide psychologique peut s’avérer indispensable. La Gestion mentale, par son action structurante sur le cognitif, apaise et influence positivement l’affectif, mais elle ne prétend pas régler tous les problèmes.

- Compréhension-réflexion

A l’heure actuelle la mémoire est traitée d’une manière ambiguë car elle considérée comme une fonction mineure et servile tout en étant extrêmement sollicitée. Ceci est vrai en raison de l’extension des programmes, mais nous voyons aussi de nombreux pédagogues favoriser dans leurs démarches scolaires, des mécanismes de rétentions plus que ceux de la compréhension. Il est certain que les liens entre la mémorisation et la compréhension-réflexion sont puissants. Ces liens apparaissent dans l’obligation pour certains sujets d’apprendre avant de comprendre pour d’autres,de comprendre pour pouvoir apprendre. Ils sont encore dans la nécessité de mémoriser à court terme l’énoncé à comprendre également dans les rapprochements entre les données de cet énoncé et les références stockées en mémoire, références parfois immédiatement accessibles ou au contraire objets d’une recherche active quand il y a réflexion. Cependant l’encrage dans la mémorisation, pour nécessaire qu’il soit, n’est pas suffisant. En, effet, si dans la mémorisation stricte, toute les informations sont à évoquer pour restitution conforme, dans la compréhension, la sélection et l’évocation d’indices pertinents s’imposent en fonction de l’espace et du temps, de changements de point de vue ; une intense activité de comparaison, de sériation, d’inclusion, d’exclusion se déploie sur ces indices avant que ne jaillisse le sens.

La Gestion mentale ne donne pas toutes les clés de ce mouvement extraordinaire de la pensée, mais elle est toutefois un outil remarquable au service du praticien qui, découvrant chez ses patients la logique de leurs mécanismes d’incompréhension, s’appuie sur l’existant positif, pour initier ou restaurer le geste mental défaillant dans ses contenus évocatifs et sa recherche des liens logiques.

Une clé essentielle de la compréhension concerne les rapports de réciprocité entre les différents paramètres. Dans l’analyses qui suit, nous verrons comment l’influence d’un paramètre, son absence, le jeu croisé de l’ensemble favorisent ou empêchent le jaillissement du sens.

C’est ainsi que confrontés à la lecture, l’orthographe, l’expression écrite, aux mathématiques, de nombreux enfants présentent de carences de la liaison P1-P2, soit qu’ils établissent au hasard et dans un sens indéterminé le lien entre le concret et l’abstrait, soit qu’ils n’y parviennent pas car ils refusent avec énergie l’évocation de symboles qu’ils ne comprennent pas ou qui leur font peur. Ce dernier groupe laisse croire à une déficience intellectuelle là où souvent une intelligence exigeante refuse de retenir ce qui lui est étranger.

Il est intéressant de voir Turgot (1721-1781) donner déjà des recommandations pour ne pas couper l’accès à la connaissance de l’expérience familière. C’est cette liaison P1-P2 dont nous parlions qui est en cause.

« On nous apprend tout à rebours de la nature. On commence par vouloir fourrer dans la tête des enfants une foule d’idées les plus abstraites. Eux que la nature tout entière appelle à elle par tous les objets, on les enchaîne dans une place ; on les occupe de mots qui ne peuvent leur offrir aucun sens, puisque le sens des mots ne peut se présenter qu’avec les idées et puisque les idées ne nous sont venues que par degrés en partant d’objets sensibles. Mais encore on veut qu’ils les acquièrent sans avoir le secours que nous avons eu, nous que l’âge et l’expérience ont formés. »

Tous les grands pédagogues se sont efforcés de rendre la connaissance accessible aux enfants, notamment en suscitant une appétence au savoir fondée sur des réalités ordinaires de la vie. Ils avaient très bien compris la nécessité impérieuse d’inscrire l’effort de symbolisation, passage au P2, dans la matérialité d’un vécu, base en P1. Ce jeu des évocations ne se réalise que par la capacité qui anime chaque petit être dès sa naissance à tisser des liens entre tous ces mondes qui s’offrent à lui, le physique, l’affectif, le cognitif. De ses premières découvertes, va naître la faculté d’extraire les liens logiques : il compare, inclut, exclut, ordonne, ce qui lui permet de classer, catégoriser, sérier, déduire… sans toutefois renoncer ni à la découverte, ni à l’invention. Nous lisons tout cela dans l’histoire du bébé qui grandit, dans les jeux ou les propos des petits de la maternelle comme dans les activités des plus grands. La vie ordinaire construit vraiment l’intelligence du petit enfant.

L’école doit donc poursuivre cette construction dans la continuité des premiers évoqués de réalité. Elle a pour noble tâche de transmettre les codes symboliques et une partie du patrimoine culturel de l’humanité. Pour les élèves cela signifie un savoir à acquérir hors de l’expérience. Aussi est-il vital pour qu’ils soient toujours acteurs de leur compréhension, autrement dit qu’ils découvrent les liens logiques en évoquant ces liens sur des contenus scolaires, que l’école ne consomme pas brutalement la rupture entre la réalité et les codes symboliques. Elle doit en conséquence valider chacun dans sa culture personnelle et y prendre appui pour qu’en toute sécurité cognitive l’enfant trouve dans ses évoqués en P1 les conditions d’accès au P2. On lui donne ainsi les moyens de relier ses propres acquis aux savoirs nouveaux. Au contraire, en le privant de cet appui, on risque de lui barrer l’accès à la pensée formelle, de lui « désapprendre » la compréhension.

En insistant sur le couple P1-P2 nous ne voulons pas dire que la compréhension exige toujours l’arrière fond du réel. La nature du P2 est de se substituer à la complexité du réel pour en donner une représentation épurée qui facilite le travail de la pensée ; évoquer sur des représentations symboliques confère donc une puissance intellectuelle, capacité indispensable dans notre monde moderne. Mais seul l’enfant peut décider pour lui même d’abandonner ses contenus de pensée de réalité au profit des codes abstraits,quitte à y revenir si besoin est. Cette décision signe sa capacité à élaborer une pensée autonome.

Les enfants en échec scolaire, pour la plupart, n’ont pas conquis cette autonomie mentale. Soit , enfants découragés et déprimés, ils n’évoquent plus, stérilisant par le fait même leur pensée. Soit, enfants bien adaptés à la réalité, ils recourent systématiquement, exclusivement, aux évoqués de réalité en P1 pour gérer toute information. Soit, enfants dociles à la loi scolaire, ils enregistrent, appliquent, restituent ce qui leur est communiqué dans une sorte de conditionnement pavlovien, P2 vide de sens. Ces derniers peuvent donner le change en primaire mais s’effondrent en secondaire, capables seulement d’un raisonnement praxique (un savoir faire par analogie de proximité) à défaut d’un raisonnement gnosique (conscience des rapports logiques qui donnent sens à la connaissance).

Il faut aussi parler de ces élèves qui croient pouvoir tout maîtriser par leur « intelligence ». Ils argumentent, raisonnent, analysent, montrant un P3 omniprésent. Ils agissent comme s’ils devaient refaire le chemin de la connaissance depuis les origines. Ceux-là doivent accepter les dures leçons du P2 pour nourrir leur compréhension.

Que dire de ces autres qui, rebutés par un système valorisant la reproduction des savoirs, la rigueur d’une logique cartésienne n’entrent dans l’univers scolaire que par la dimension sensible et imaginative. P4 est à l’œuvre, établissant ses liens inédits de découverte ou d’invention au détriment des normes pédagogiques. La condition de réussite se trouve dans la découverte du droit à l’émotion et à la créativité au cours des apprentissages. Alors reconnus et gratifiés dans leurs finalités, ils arrivent à accepter les outils formels qu’ils mettront au service de leur imagination comme de leur raison.

A partir de ces repérages tout au long de l’acte de compréhension que trouvons-nous en termes de moyens pour faire progresser l’enfant ? Nous ne reviendrons pas sur le recours aux évoqués de réalité, sur le nécessaire passage aux acquis scolaires, sur l’inscription des liens logiques et inédits à la fois dans le réel et l’abstraction. Par contre si les limites de cet écrit n’y faisaient obstacle, il faudrait insister sur l’importance du choix d’indices où se manifeste le rapport de la personne à l’espace et au temps, sur l’indispensable capacité de décentration pour disposer du point de vue juste, sur la gestion des références idéo-linguistiques à mettre en œuvre. C’est dans l’interaction de ces mouvements de pensée que se trouveront les liens logiques déclencheurs du sens.

- L’imagination

De toutes nos facultés, l’imagination semble être le fleuron et pourtant, elle est mal aimée à l’école. La démarche normative ne s’accorde pas avec la liberté créatrice qui anime le jeune enfant avant son entrée en primaire. Finis la danse, le dessin libre, la musique, la lecture, la poésie, pour le plaisir. Pas de rencontre, ou si peu, avec les œuvres d’art, les monuments, la nature… La rédaction est aussi sous contrôle, sous prétexte de règles d’écriture… Aussi de classe en classe, il semblerait que s’éteigne le besoin de créer, que disparaisse la conscience de cette capacité. Dans un tel contexte, beaucoup d’élèves restent dans la stricte reproduction, ne s’impliquent pas, et n’imaginent guère être en droit de sortir des chemins balisés pour faire entendre leur originalité.

Ce sombre tableau décrit un situation préoccupante qui laisse peu de place à l’éducation de l’imagination. Or c’est là une dimension inaliénable de la condition humaine sans laquelle le progrès, pas plus que l’art n’existeraient.

L’orthophoniste qui travaille en Gestion Mentale sait qu’elle doit aider l’enfant à se constituer ses champs de références dans les deux sources d’inspiration de l’homme : la nature et les œuvres humaines. La famille est sollicitée à jouer, avec tact, ce rôle d’intermédiaire entre l’enfant et les richesses de son environnement. La rééducatrice, qui ne peut sortir de son cabinet, proposera, elle, des rencontres avec la langue à travers les plus belles pages de notre littérature. Les mots, en effet, sont pleins d’images, de bruits, de parfums… et par un jeu subtil de correspondances, provoquent l’émotion, entraînent le travail de la pensée. Les enfants découvrent la force créatrice des mots grâce aux images mentales qu’ils font naître. Ils accèdent ainsi au sens de la langue non plus seulement dans l’usage courant qu’on en fait, mais dans l’alliance étroite du fond et de la forme. La grammaire se met en place, l’imaginaire ayant rencontré la logique. Un travail analogue peut se faire dans bien d’autres domaines.

 

Conclusion

Nous avons voulu montrer dans cet article comment l’apport de la Gestion mentale précisait la problématique du sujet en difficulté et donnait les moyens d’une rééducation spécifique.

Cette démarche implique la participation et la compréhension de tous les partenaires : l’enfant,la famille, l’école. L’enfant lui même joue une carte essentielle en exerçant délibérément les moyens mentaux de sa réussite. Assumant ainsi ses responsabilités vis à vis de sa culture en devenir, il se donne déjà le cadre de sa liberté, pour autant que famille et école sachent reconnaître ses richesses et ses différences afin de s’y adapter.

La Gestion mentale comme support de rééducation représente un outil remarquable au service de l’apprentissage. Loin de récuser les techniques et les connaissances classiques, elle vient au contraire les enrichir en y ajoutant le point de vue inexplorée de la personne qui observe sa pensée et en conséquence acquiert le pouvoir de la diriger.

Le projet d’amener quelqu’un à la conscience du fonctionnement de sa pensée ne peut qu’entraîner à une grande humilité et à la circonspection, aussi ce travail ne prétend pas répondre à des certitudes. Beaucoup reste à faire avant que cette recherche, initiée par A. de la Garanderie, exprime toutes ses potentialités. Cependant un si grand nombre de patients a pu profiter de cette nouvelle lecture de leur handicap qu’il est justifié de valider une théorie et une pratique dont l’unique but est le développement de la personne.